Lorsque je présente les coulisses d’un documentaire sur lequel j’ai travaillé, certaines personnes extérieures au métier sont étonnées, voire choquées (si, si !) de découvrir que le son qu’ils entendent est presque intégralement reconstitué. Pour eux, le documentaire est un genre qui suppose une notion de vérité avec laquelle le bruitage et le sound design paraissent incompatibles. Et pourtant, il arrive parfois que la totalité de la bande-son d’un documentaire soit recréée en studio. Voyons pour quelles raisons.
Distance de prise de vue
En documentaire animalier, les caméras sont souvent dotées de téléobjectifs puissants qui permettent de se rapprocher virtuellement (et visuellement !) d’un animal sans le déranger. Les progrès de l’optique permettent d’obtenir des grossissements considérables avec une image de qualité. Malheureusement, l’équivalent sonore n’existe pas. Les micros directionnels et même les paraboles qui amplifient le son à la prise ne permettent pas d’isoler proprement un son au delà de quelques dizaines de mètres.
De plus, la profondeur de champ et le bokeh n’ont pas d’équivalents en son. Contrairement à l’image, on ne peut pas isoler un sujet sur un arrière plan flou. Tous les sons présents dans l’axe d’un micro directionnel ou d’une parabole sont captés, quelle que soit leur distance.
Bruits indésirables du tournage
Le lieu de tournage d’un film documentaire n’est pas toujours adapté à une bonne prise de son. Une caméra peut cadrer une zone précise mais un micro, même directif, capte toujours un peu de son à 360°. Si on filme un oiseau au bord d’une route, un cadre adapté peut faire croire qu’on est en pleine nature, mais la circulation reste forcement audible. Il n’y a pas de hors-champ en prise de son.
En documentaire, de nombreuses séquences sont filmées depuis un drone, un hélicoptère, une voiture, un bateau ou encore des véhicules télécommandés. On ne peut évidemment pas exploiter le son direct de tels plans.
Réalisme ou réalité : le son au service de la narration
Un documentaire est avant tout un film qui raconte une histoire, souvent grâce à un commentaire en voix-off. Il ne peut en aucun cas être « la vérité ». Le simple fait de poser une caméra à un endroit est déjà un point de vue, donc une déformation de la réalité.
Lors du montage, le monteur image assemble parfois des plans filmés à des moments différents pour fabriquer une séquence. Cela peut créer d’importantes discontinuités dans l’arrière-plan sonore. Le montage son permet de fabriquer une continuité artificielle, en ajoutant des sons d’ambiances et en remplaçant certains sons du tournage.
Un autre aspect est que le vrai son n’est pas toujours celui qui parait le plus naturel ou le plus adapté à la narration. Parfois, le bruitage permet de faire entendre des sons ré-interprétés qui soutiennent l’image et paraissent plus vrais que les originaux. C’est le cas des sons trop faibles ou trop aigus de certains animaux, comme les insectes. Le film documentaire Microcosmos, le peuple de l’herbe, récompensé par plusieurs Césars, en est le parfait exemple. L’intégralité des sons du film est créée en bruitage et en sound design.
Les sons enregistrés sous l’eau nécessitent également d’être retravaillés pour paraitre naturels (lire l’article Bruitage sous-marin).
Quand on travaille sur la post-production sonore d’un documentaire, on s’efforce de rester le plus fidèle possible à la réalité. Pour çela, on s’appuie au maximum sur les sons du tournage et sur les indications du réalisateur. Lorsque la qualité des sons directs n’est pas suffisante, on les utilise comme modèles pour en créer de meilleurs, le plus fidèlement possible.
Budget et durée des tournages
Le tournage d’un documentaire nécessite souvent beaucoup de temps et de nombreux déplacements coûteux. De plus, il est souvent difficile de prévoir la durée nécessaire à l’obtention de certains plans, en particulier sur des documentaires animaliers. C’est pourquoi le tournage s’effectue la plupart du temps en équipe réduite, parfois sans ingénieur du son. En post-production sonore, on peut plus facilement prévoir le temps, et donc le budget, nécessaire à la fabrication de la bande-son.
Les plans en slow-motion
L’effet de slow-motion, ou ralenti, est souvent employé en documentaire animalier. Il permet de montrer au spectateur des images rapides qu’il n’aurait pas le temps d’appréhender à vitesse réelle comme l’attaque d’un faucon, le battement d’aile d’un insecte, le déplacement d’un lézard, etc.
Quand on ralentit un son, on modifie sa tonalité et sa texture, ce qui le rend méconnaissable. Par exemple, voici le son d’un grillon champêtre lu à plusieurs vitesses :
Si ce procédé est très courant en sound design, pour créer des sons nouveaux, on comprend bien qu’il ne permet pas d’obtenir une sensation sonore réaliste dans une séquence tournée en slow-motion. C’est pourquoi on bruite et on recrée systématiquement le son sur ce genre d’images. Voir Naissance d’une ile.
La souplesse et le contrôle de la post-production sonore
La post-production sonore permet aux réalisateurs de documentaires de donner vie à l’histoire qu’ils racontent. Parfois, quand la caméra « gomme » certaines sensations présentes sur le tournage, on peut créer un son spectaculaire plus vrai que nature pour les retrouver.
Sur un tournage, un micro ne peut pas focaliser son attention comme le font nos oreilles. C’est donc le choix des sons et le mixage qui guident l’attention du spectateur. Le bruitage et le sound design permettent de re-créer des sons impossibles à collecter sur un tournage pour procurer des émotions.
Le but du documentaire n’est pas que de retranscrire la réalité, c’est aussi d’instruire, de dépayser et de faire rêver…
Lire aussi mon article sur le documentaire Snow : De la neige en été : la magie du sound design.