Nicolas Titeux

Ingénieur du son | Sound designer
Compositeur

Enregistrement sous-marin

by | Avr 7, 2020

Pour créer des sons originaux pour un film documentaire sur les céphalopodes (pieuvres, calamars et autres seiches), j’ai décidé d’explorer de nouveaux horizons sonores… sous l’eau.

hydrophones aquarian audio
Au cinéma, les effets sonores sous-marins sont souvent obtenus en filtrant des sons enregistrés dans l’air. Pour ce projet, j’avais envie de procéder différemment.

J’ai d’acheté deux hydrophones, micros à l’aspect étrange, adaptés à l’enregistrement aquatique.
 

Un peu de physique…

 
Le comportement du son dans l’eau est très différent ce celui dans l’air.

D’abord, le son se déplace dans l’eau à une vitesse de 1500 m/s et à seulement 340 m/s dans l’air. Or, notre cerveau est habitué à analyser le retard, appelé déphasage, entre nos deux oreilles pour localiser l’origine d’un son. On appelle ce phénomène l’effet Haas. Dans l’eau, le son voyage 4 fois plus vite. Le déphasage entre nos deux oreilles est donc beaucoup plus faible et il nous est difficile de percevoir les sons en stéréo.

Lors d’un premier test d’enregistrement dans une rivière, j’ai commencé avec un écartement standard entre les deux hydrophones (de l’ordre de 20 cm, ce qui correspond à peu près à l’écartement de nos oreilles). Sans surprise, le son manquait d’image stéréo, ce qui le rendait un peu fade.

Pour remédier à ce problème, j’ai augmenté l’espace entre les deux hydrophones pour accentuer le déphasage. A une distance d’environ 80 cm, j’ai retrouvé une image stéréo naturelle.
 

enregistrement avec hydrophones dans une riviere
enregistrement avec hydrophones dans une cascade

Les propagations du son dans l’air et dans l’eau sont très différentes. Dans l’air, le timbre du son est fortement altéré par la distance. Les sons graves portent beaucoup plus loin que les sons aigus. Par exemple, quand un avion vole à haute altitude, on n’entend au sol que les basses fréquences du son. Si il vole à basse altitude, on distingue alors clairement tout son timbre. De même pour un orage, lorsque le tonnerre frappe au loin, on ne perçoit que les basses fréquences, le timbre s’enrichit lorsque les éclairs se rapprochent. Notre cerveau est habitué à ce phénomène pour évaluer la distance d’une source sonore. Un son sourd est perçu comme lointain.

A l’inverse, dans l’eau, les sons aigus se propagent très loin. C’est un atout pour les dauphins, qui communiquent sur de longues distances avec des sons aigus, mais ce n’est absolument pas naturel pour notre cerveau « terrestre ». Au travers des hydrophones, on ne peut pas évaluer la distance d’un son, le moteur d’un bateau qui navigue à plus d’un kilomètre semble très proche.

Les hydrophones en pratique

 
Lors des sessions de bruitage en mer, les sons étaient très brillants et parfois agressifs. Ils semblaient peu naturels. Peut-être aussi parce que notre représentation mentale du son aquatique est distordue. Au cinéma, on utilise habituellement des sons au caractère grave et sourds dans les scènes qui se passent sous l’eau.

Nous avons donc cherché un compromis pour ce documentaire. L’idée a été de filtrer nos sons hydrophoniques. Nous avons ainsi pu conserver leur caractéristiques, tout en les rendant plus fidèles au modèle que nous en avions. Nous avons donc dénaturé les sons sous-marins pour les rendre plus naturels !

enregistrement bruitage avec hydrophones

Le résultat

Voici le comparatif d’une prise de son brute, puis traitée avec un égaliseur. Quel son vous parait le plus « sous-marin »?

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